Vers des services publics « numériques par défaut »

En 2012, Francis Maude, alors ministre du Cabinet Office, annonce le lancement de la stratégie Digital by default. Une stratégie numérique par défaut qu’il résume en ces mots : « notre sentiment est que tout ce qui peut être accessible en ligne, devrait être accessible en ligne et seulement en ligne ». Soit plus de 2 000 services publics britanniques, comme les demandes de prêts étudiants, le renouvellement de passeport, ou encore l’accès aux prestations sociales, qui sont désormais, à 89%, accessibles en ligne. A terme, cette stratégie Digital by default devrait engendrer une complète et radicale fermeture des guichets, au détriment des usagers qui privilégient ce canal pour accéder à leurs droits.

A l’échelle nationale, 70 milliards de livres de baisses des dépenses publiques d’ici 2020

Pour le gouvernement comme pour les contribuables britanniques, les bénéfices espérés sont clairs : cette opération devrait engendrer une réduction des dépenses publiques de 70 milliards de livres d’ici 2020, le coût des démarches en ligne étant très inférieur à celui engendré par des relations téléphoniques (20 fois moins) ou en face à face (50 fois moins). Pour le public, elle doit permettre des gains de temps et d’argent en réduisant le nombre de déplacements ou appels nécessaires, et en rendant les services disponibles 24 heures sur 24. Mais un véritable succès n’est possible qu’à condition de réussir la montée en compétence des 11 millions d’exclus du numérique britanniques d’ici à 2020. C’est là le défi majeur de la Government Digital Inclusion Strategy : accompagner des personnes qui, seules, ne pourraient jamais utiliser internet, ni même y accéder, vers la maîtrise de ces guichets administratifs numérisés.

 A l’échelle individuelle, des économies de l’ordre de 1064 livres par an

Devenir des citoyens connectés permettrait également à ces personnes de réaliser des économies. En juin 2014, British Telecom (BT), opérateur historique au Royaume-Uni, a présenté une étude  démontrant qu’une personne connectée réalisait un gain quantifiable de 1064 livres par an, économie déterminante pour certains budgets. L’étude, réalisée à partir d’un programme de formation aux compétences numériques (Get IT Together) soutenu par l’entreprise, a notamment valorisé des éléments non marchands : l’inclusion numérique peut, non seulement permettre l’accession directe à des tarifs proposés uniquement en ligne, mais aussi engendrer une plus grande confiance en soi, un moindre isolement social ou une meilleure employabilité.  Pour la société, cette économie se répercute plus largement puisque, au total, le retour social sur investissement du programme pour l’année 2012 a été estimé à 1 livre pour 3,70 livres (pour chaque livre investie, 3,70 sont créées).

 Miser sur l’e-inclusion pour accroître la compétitivité de toute une nation

Si le Royaume-Uni veut devenir la nation la plus numériquement compétente au monde, c’est aussi que l’enjeu de compétitivité est de taille dans ce secteur porteur. Avec une contribution de plus de 58 milliards de livres au PIB britannique en 2011 et un commerce en ligne pesant 107 milliards de livres en 2014, le secteur du numérique est, selon une étude publiée par Capgemini, essentiel à l’économie britannique. Pour exploiter les opportunités économiques qu’il engendre, un groupe d’experts britanniques souligne en 2013 la nécessité de former une main d’œuvre hautement qualifiée, capable de porter un secteur du numérique plus innovant et compétitif à l’étranger. Or, une grande partie de la population ne présente pas les compétences numériques de base, quand bien même une étude réalisée en 2012 par le cabinet de consultants Booz and Company estime que le                       « rattrapage numérique » de l’ensemble de la société britannique pourrait rapporter quelques 63 milliards de livres à l’économie nationale. Entre ces milliards de croissance espérés et les 70 milliards d’économies réalisées sur le budget de l’Etat, le plan d’inclusion numérique apparaît, Outre-Manche, comme un investissement très pragmatique sur l’avenir. Un pari bien compris par l’Etat, les entreprises et les associations qui ont, d’ores et déjà, uni leurs efforts pour mettre sur pied de nombreuses actions destinées à résorber la fracture numérique.


[titre_hashtag] > ils font l’inclusion numérique
En conversation avec le Government Digital Service[/titre_hashtag]

image_interview GDSDans un rapport publié en 2010, Martha Lane Fox, alors Digital Champion Outre-Manche, appelait le gouvernement britannique à entamer une «révolution» de ses services publics dématérialisés, pour « en finir avec les  évolutions » et les services déconnectés des usagers.  C’est dans ce contexte que naît le Government Digital Service (GDS) en 2011 pour opérer ce changement radical. En 2014, avec la dématérialisation fulgurante des services britanniques, le GDS a naturellement élargi le champ de ses missions et pilote désormais les politiques d’accès au numérique et de montée en compétence des populations déconnectées.

 

Connexions Solidaires. Qu’est-ce que la Stratégie Numérique du Gouvernement (Government Digital Strategy) ?

GDS: Nous avons publié la Government Digital Strategy en novembre 2012. Elle précise la mise en place de services « numériques par   défaut ». Derrière cette stratégie, un postulat simple : les usagers effectueront leurs démarches sur internet à la condition que les services en ligne soient réellement plus simples et pratiques d’utilisation que le courrier et le téléphone. C’est pour cette raison que, ici au GDS, nous cherchons à développer des services tellement intuitifs que les usagers auront envie de les utiliser. Dans ce contexte, placer l’inclusion numérique au cœur de l’approche gouvernementale du numérique est crucial.

CS. Cette stratégie a-t-elle influencé le développement de vos politiques d’inclusion numérique ?

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Il n’y a aucun intérêt à développer des services dématérialisés de qualité si les usagers n’ont pas la motivation, la confiance, les compétences et la connexion pour les utiliser.

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GDS: Oui, dit simplement, il n’y a aucun intérêt à développer des services dématérialisés de qualité si les usagers n’ont pas la motivation, la confiance, les compétences et la connexion pour les utiliser. C’est pour cette raison que le gouvernement a publié sa Stratégie d’inclusion numérique qui fixe l’ambition de réduire de 25%, d’ici à 2016, le nombre de personnes ne disposant pas des compétences numériques de base (actuellement 21% de la population adulte). Néanmoins, les bénéfices de cette montée en compétence vont bien au-delà de l’utilisation des services publics en ligne. Les usagers doivent pouvoir tirer profit de tous les avantages sociaux et économiques qu’offre internet : rester en contact avec sa famille et ses amis, trouver un emploi,… C’est pour cela que nous conduisons cette politique au nom de l’ensemble du gouvernement britannique. Mais cette stratégie est avant tout développée de manière collaborative.

CS. Quelles sont les autres organisations impliquées dans cette stratégie d’inclusion numérique, et comment travaillez-vous avec elles ?

GDS: Lors de la conception de la stratégie d’e-inclusion, une chose est devenue claire : lorsqu’il s’agit de la montée en compétence des usagers sur le numérique, le gouvernement ne détient pas toutes les réponses. En réalité, il existe, sur l’ensemble du territoire, d’innombrables organisations qui mènent d’ores-et-déjà des initiatives remarquables conçues pour aider les personnes à aller en ligne et à devenir plus autonomes. Historiquement, le véritable enjeu est le manque de collaboration entre ces différentes organisations. Or, le gouvernement a un atout majeur : sa capacité à rassembler des organismes actifs et passionnés pour permettre à leurs bonnes idées de changer d’échelle, et de générer de nouvelles initiatives sans créer de doublons. Pour faire de cela une réalité, nous avons lancé, en parallèle de notre stratégie, la Charte de l’inclusion numérique. Avec cette charte, le gouvernement invite les organisations des secteurs public, privé et associatif à se réunir et à créer quelque chose qui dépasse la simple agrégation des talents et des idées. Pour l’instant, nous comptons plus d’une soixantaine d’organisations signataires, et nous espérons que davantage suivront.

CS. Quel est votre sentiment sur l’idée suivante : dématérialiser ses services en ligne, nécessite de former ses usagers, clients ou administrés, à leur utilisation?

GDS: Le gouvernement a la responsabilité de rendre ses services accessibles à tous les citoyens.  A cet effet, toutes les administrations qui délivrent des services dématérialisés ont pour mission de mettre en place un soutien adapté à ceux qui ne peuvent les utiliser de manière autonome. Pour certaines personnes, l’obstacle peut être un manque de compétences ou d’accès à internet. C’est pour eux que nous développons une politique d’inclusion numérique. Pour d’autres, il peut s’agir d’obstacles liés à la santé ou à un handicap, qui impliquent que ces personnes auront de profondes difficultés à utiliser ces services en toute indépendance. Notre « assisted digital support »,  aide numérique à la personne, répond à ce besoin. On pourrait imaginer que les entreprises n’ont pas à se sentir concernées par ces enjeux, et que, si les usagers souhaitent réellement traiter avec elles, ils trouveront un moyen d’utiliser leurs services numériques. Néanmoins, de nombreuses entreprises reconnaissent qu’il est dans leur intérêt d’aider plus de personnes à migrer en ligne. Après tout, ce sont des clients potentiels ! Quelles que soient leurs motivations, de nombreuses organisations du secteur privé ont signé notre Charte de l’inclusion numérique et font un travail fantastique pour aider les personnes, clients ou pas, à se connecter, et pour nous, ce soutien est vraiment le bienvenu.

CS. Comment prenez-vous en compte les populations fragiles ?

GDS: Il est certain que l’exclusion numérique est plus forte au sein des populations en difficulté. Au Royaume-Uni, les bénéficiaires des logements sociaux sont disproportionnellement impactés (37% ne possèdent pas les compétences numériques de base), tandis que 33% des personnes souffrant d’un handicap n’ont jamais utilisé internet, et jusqu’à 69% des plus de 55 ans n’ont pas les compétences numériques de base. Développer la digital literacy et les compétences numériques de ces personnes est essentiel à l’amélioration des conditions de vie de ces populations. Beaucoup d’organisations, avec lesquelles nous sommes partenaires, ont un intérêt particulier pour ces populations et prennent de grandes initiatives. Une organisation, Digital Unite, forme et soutient des « Digital Inclusion Champions », des champions de l’inclusion numérique, dans les communautés de résidents de logements sociaux à travers le pays. Une autre, Age UK, offre des formations individuelles, des ateliers d’initiation, des prêts d’ordinateurs portables, et d’autres formes de soutien pour les personnes âgées qui veulent améliorer leurs compétences numériques. Il existe de nombreuses autres organisations menant des activités similaires, notre ambition est de pousser ces initiatives et de s’assurer que, d’ici deux ans, elles ne soient plus l’exception mais la règle.