Connexions Solidaires. En France, 17% des 15/29 ans ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation. Le numérique est-il une opportunité pour ces jeunes en grande difficulté d’insertion professionnelle ?

Gilles Babinet. Il est difficile de répondre à cette question sans soulever la raison pour laquelle cette classe d’âge se retrouve dans cette situation. Les enjeux d’échecs scolaires sont à présent considérés comme structurels, et sont donc, par définition, sans espoir. Or, il est manifeste – des expérimentations en témoignent – qu’en changeant le protocole éducatif, on pourrait sensiblement réduire le taux d’échec scolaire. L’apprentissage de la lecture, par exemple, pourrait être considérablement amélioré si nous acceptions d’observer les bonnes pratiques dans le monde. A cet égard, je ne peux que recommander de regarder les excellents travaux d’Agir Pour l’Ecole, ils démontrent qu’à ce stade, la fatalité n’existe pas. Concernant les jeunes en situation de décrochage, plusieurs indices nous permettent de penser que la fatalité n’est pas, ici non plus, de mise. L’école 42 a ouvert la voie. En ne posant aucune condition (diplôme, qualification…) préalable à l’inscription au “concours” de l’école, elle a ainsi démocratisé à outrance l’accès à une formation considérée comme élitiste. Certes, 42 ne peut pas convenir à tout le monde, mais l’initiative laisse penser que beaucoup d’autres initiatives numériques pourraient permettre de faciliter la mobilité sociale des populations jeunes précaires. D’une façon générale, on pense assez spontanément au potentiel des serious games, applications ludiques d’apprentissage, qui permettraient de toucher plus facilement ces populations, tout en leur transmettant des connaissances et les codes de la recherche d’emploi.

CS. Ces jeunes appartiennent à la « génération internet », mais l’étude conduite par Emmaüs Connect montre que les compétences numériques, loin d’être innées et intuitives, résultent d’un apprentissage et que leur transférabilité, d’un domaine à l’autre, d’une interface à l’autre, n’est pas systématique. Selon vous, la formation au numérique dont bénéficient les jeunes, à l’école notamment, est-elle suffisante ? Est-ce le curriculum qui est en cause ou la méthode d’apprentissage ?

GB. Depuis des années, l’école est en cours de déphasage avec le monde contemporain. Les programmes et les modèles pédagogiques ont été conçus pour les besoins d’un autre siècle. Comme le faisait d’ailleurs observer récemment Kwame Yamgnane, co-directeur de l’école 42, l’enjeu n’est pas d’entasser les savoirs, mais de permettre l’acquisition de méthodes d’agilité face à des situations diverses et sans cesse nouvelles. Certes, il est important de savoir lire, écrire et compter, mais il est aussi important de savoir interagir en groupe et de disposer d’une agilité créative.

CS. Selon vous, le numérique peut-il aider ces jeunes à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent offline ? Comme la faiblesse du réseau professionnel, la difficulté d’accéder à l’information, le manque de confiance en eux… ?

GB. Accéder à un emploi ressemble à un parcours du combattant pour des jeunes disposant de peu de formation : identification des offres, entretien, gestion administrative… Il n’est pas impossible que le numérique puisse un jour permettre, comme il l’a fait dans le domaine des taxis avec Uber, ou de la location, avec Airbnb, de repenser de façon plus conviviale l’accès au marché du travail. Il serait intéressant de voir Pôle Emploi lancer un Hackathon sur ce thème.

CS. Dans quelle mesure l’open data peut bousculer le marché de l’offre d’emploi sur internet, et ce en faveur des jeunes ?

GB. Depuis maintenant des années, il y a un débat récurrent pour que Pôle Emploi permette à des tiers d’accéder à ses annonces. Certains acteurs qui avaient crawlé (c’est à dire qui s’étaient appropriés du contenu en copiant les pages de résultat avec un robot) les résultats de Pôle Emploi s’étaient heurtés à l’opposition de cette institution. C’est pourtant dommage, car il n’est pas impossible que des acteurs tiers puissent proposer d’autres approches, peut-être plus pertinentes, à partir des données de Pôle Emploi.