Connexions Solidaires. Notre précédent numéro a montré qu’au Royaume-Uni, tous les acteurs du numérique solidaire sont fédérés autour d’une stratégie nationale pour l’inclusion numérique qui permet de coordonner le déploiement de projets à l’échelle nationale. En France, comment rassembler l’écosystème du numérique solidaire – des médiateurs aux entreprises, en passant par les collectivités et les associations – écosystème dispersé et encore peu sensibilisé ?

Axelle Lemaire. L’écosystème et l’ensemble des structures impliquées dans le champ de la médiation numérique en France gagneraient effectivement à être davantage structurés au niveau national. Il s’agit là d’un des enseignements de la concertation sur la médiation numérique que j’ai lancée en 2014 et qui a permis à l’ensemble des acteurs de la médiation numérique d’exprimer leurs besoins sur la base d’un constat partagé. C’est pourquoi je souhaite que l’Etat puisse aider à structurer un réseau national de la médiation numérique, s’appuyant sur l’ensemble des pôles de ressources interrégionaux de la médiation numérique et doté de différents outils au service du développement des projets dans les territoires. Je serai en mesure de vous détailler avant l’été l’ensemble de ces  mesures et actions qui visent à apporter un soutien fort à la médiation numérique. Par ailleurs, l’Agence Nationale du Numérique, créée en début d’année, est déjà un outil essentiel de la mise en oeuvre de la stratégie numérique du Gouvernement. Elle fait le lien entre trois dimensions complémentaires du numérique : les infrastructures, les écosystèmes innovants de la French Tech et la diffusion des usages. Elle facilitera les synergies, notamment territoriales, et sera chargée d’assurer le suivi et la bonne mise en oeuvre des actions en faveur de la médiation.

CS. Nous avons également constaté que les Britanniques se mobilisent en masse pour aider les déconnectés à s’approprier le net. Le Royaume-Uni a donc son armée de Digital Champions, bénévoles engagés pour l’e-inclusion des plus fragiles. En France, à quand une « Social French Tech », ou que faire pour mobiliser massivement la société civile sur le numérique pour tous ?

AL. Les Français sont traditionnellement très engagés et le tissu associatif est particulièrement riche dans notre pays. De nombreux bénévoles sont déjà impliqués, de façon très régulière, dans les projets de médiation numérique, notamment dans les Espaces Publics Numériques et les Laboratoires de fabrication numérique plus connus sous le nom de FabLabs. Il s’agit effectivement de valoriser cet engagement et de le développer. A la suite du comité interministériel sur l’égalité et la citoyenneté du 6 mars dernier, il a été décidé de promouvoir l’exercice de missions liées au numérique par les jeunes engagés dans le cadre du Service Civique. Ainsi, chaque année, 500 jeunes en Service Civique pour le numérique soutiendront les personnels impliqués dans les structures de médiation numérique. Un effort similaire sera mené pour aider à la mise en oeuvre de ce beau projet qu’est la Grande École du Numérique. Annoncée par le Président de la République le 5 février dernier, cette Grande École du Numérique est destinée à favoriser l’insertion sociale des jeunes et à répondre aux opportunités d’emploi dans le secteur du numérique.  L’ambition de ce projet sera portée par un réseau de structures labellisées, qui proposeront un bouquet de formations innovantes et courtes au numérique, fondées sur l’acquisition de compétences. La mission de préfiguration, menée par Stéphane Distinguin, Président du pôle de compétitivité Cap Digital, rendra son rapport au Premier ministre fin mai 2015 pour une mise en oeuvre opérationnelle et une première vague de labellisation dès septembre 2015. La question de la mobilisation de la société civile pour la montée en charge de ce projet emblématique de l’innovation au service de tous est à l’étude. Une communauté d’experts volontaires, regroupant les salariés des grandes entreprises du numérique et des startups, les anciens professionnels du secteur et les étudiants de grandes écoles pourrait être mobilisée pour des missions ponctuelles d’accompagnement, de tutorat ou de formation.

CS. A l’automne 2014, Pierre Camani et Fabrice Verdier vous remettaient un rapport qui propose d’institutionnaliser la médiation numérique, ou encore d’assouplir le cadre des offres sociales afin de développer des offres multi-services (internet/téléphone fixe/TV) à des tarifs adaptés aux publics fragiles. Où en est la réforme du service universel des télécommunications ?

AL. J’ai salué la publication du rapport de Pierre Camani et Fabrice Verdier car il rejoignait mon souhait de procéder à une double modernisation : celle du service universel des télécommunications, hérité de l’ouverture à la concurrence du secteur à la fin des années 1990, et celle de la médiation numérique, en redonnant notamment un souffle nouveau au réseau des Espaces Publics Numériques. Les parlementaires ont été très clairs : la modernisation du service universel, et notamment le retrait de l’obligation de maintenir un réseau de cabines téléphoniques sur l’ensemble du territoire, doit avoir pour contrepartie un meilleur accès du plus grand nombre au numérique. Cela passe d’abord par l’extension de la couverture mobile, notamment des zones rurales, afin d’éviter un nouvel « enclavement numérique ».

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La numérisation doit être un levier d’émancipation, pas un nouveau facteur d’isolement

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C’est ce à quoi je me suis employée, ces derniers mois, et des dispositions en ce sens viennent d’être votées au Sénat. Cela passe également par un meilleur accompagnement des publics, et notamment des plus fragiles, dans leur utilisation des services numériques. C’est le sens de l’initiative que je porte pour constituer un véritable réseau national de la médiation numérique et que je porterai demain, dans le cadre du projet de loi numérique, pour assurer une meilleure reconnaissance de l’ensemble des médiateurs numériques qui agissent au quotidien, partout en France, pour veiller à ce que personne ne soit laissé en marge d’une numérisation qui doit être un levier d’émancipation, pas un nouveau facteur d’isolement.

CS. Pensez-vous que l’on puisse poursuivre la dématérialisation des services sans la pétrir d’une vraie démarche centrée sur l’usager ? Car aujourd’hui de nombreux services, publics et privés, essentiels demeurent inaccessibles à bien des personnes souffrant de handicap, en situation d’illettrisme, peu familiarisées avec le net….

AL. Il est clair qu’il nous faut aujourd’hui travailler dans deux directions parallèles : poursuivre les efforts de modernisation de nos services publics et de nos structures administratives en tirant le meilleur parti de l’innovation numérique ; faire en sorte que cette modernité soit inclusive et accessible à toutes et à tous.

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La modernisation de l’Etat doit être inclusive et accessible

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La dématérialisation n’est pas une fin en soi : elle a pour objectif d’améliorer le service rendu aux usagers, et de permettre à l’ensemble des personnels d’accompagnement de concentrer leurs efforts et attentions là où ils sont les plus nécessaires, en remettant effectivement les utilisateurs et usagers au centre des dispositifs. Concernant l’accessibilité numérique, c’est une question qui me tient particulièrement à coeur et clairement identifiée lors de la Conférence Nationale pour le Handicap, organisée en décembre dernier. En parallèle des actions menées sur l’accessibilité des sites publics (une nouvelle version du référentiel général pour l’accessibilité des sites administratifs sera bientôt publiée, assortie d’un label et d’actions d’accompagnement), j’ai souhaité mener des actions incitatives vis-à-vis des acteurs privés, notamment les écoles de formation au numérique, qui débouchera très prochainement sur la signature d’une charte permettant l’intégration dans les cursus de formation des enjeux et connaissances de l’accessibilité numérique.

CS. Pouvez-vous nous parler de la future loi sur le numérique, quelles seront les mesures en faveur de la transition numérique pour tous ?

AL. En ce qui concerne directement la médiation numérique tout d’abord et dans le prolongement du rapport parlementaire sur le service universel, l’étude de l’inscription dans la loi du statut professionnel de médiateur numérique est en cours.

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Mon ambition est de construire une république numérique basée sur la confiance, les valeurs inclusives et le rôle émancipateur du numérique

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La création d’un tel statut permettrait de reconnaître et valoriser cette profession, d’entériner la diversification des missions effectuées aujourd’hui par les médiateurs numériques et l’exigence de qualité de l’accompagnement proposé. Plus largement, le projet de loi et le plan d’actions que je présenterai répondront à l’ambition de construire une République numérique basée sur la confiance, les valeurs inclusives et le rôle émancipateur du numérique : dans cette optique, des sujets très variés seront concernés (économie collaborative, communs, activation des droits sociaux, etc). Je présenterai très prochainement le détail des mesures prévues dans ce projet de loi ainsi que dans le plan d’actions.

CS. Pour conclure, traditionnellement, l’e-inclusion est considérée comme un levier d’insertion sociale… mais n’est-ce pas, aussi, un facteur de croissance économique, à l’échelle individuelle comme à l’échelle nationale ?

AL. Il faut effectivement considérer la médiation numérique sous différents aspects. La médiation numérique est une mission de service public : dans une société dans laquelle le numérique joue un rôle de premier plan, chaque citoyen doit pouvoir accéder au numérique et pouvoir tirer pleinement profit de son potentiel. Par ailleurs, il faut envisager ces missions comme relevant d’un investissement social et aux retombées économiques positives : les Britanniques, très pragmatiques sur cette question, ont réalisé à ce sujet une étude, et j’ai commencé à réfléchir, avec Emmaüs Connect et les acteurs impliqués sur ce sujet, à la publication d’une étude du même type mais appliquée au cas français.