Connexions Solidaires. Vous êtes en charge de la médiation avec les services publics chez le Défenseur des droits, que vous inspirent les résultats de cette première enquête réalisée par Emmaüs Connect ?

Comme vous l’indiquez, il ne s’agit que d’une première enquête qu’il faudra impérativement amplifier. Mais, d’ores et déjà, elle nous conforte dans les constats que nous faisons nous-mêmes.

CS. Le constat dont vous parlez fait apparaître quels phénomènes ?

J’ai l’habitude de dire que nos saisines ont, en une dizaine d’années, évolué sur le fond et la forme. Sur le fond, là où il y a dix ans on nous écrivait sur une problématique ciblée, aujourd’hui nous sommes de plus en plus saisis sur un enchaînement de problèmes qui trouvent leur origine dans une première difficulté avec un service public. Cela n’est pas sans incidence sur la mise en place de formulaires administratifs informatisés car on ne peut prévoir des « cases » correspondant à toutes les situations complexes. D’où aussi la nécessité de maintenir de l’accueil humain polyvalent dans les services publics.

Sur la forme, je suis obligé de faire un double constat. D’une part, le format papier, par lequel on nous saisit, s’est fortement détérioré. D’autre part, la saisine du Défenseur des droit par internet, après avoir fortement progressé depuis son lancement en 2009 par le Médiateur de la République, a atteint, dès fin 2011, un pallier en proportion qui n’a plus évolué depuis lors. Cela confirme les difficultés d’accès au numérique et d’usage, comme votre enquête le démontre.

CS. L’enquête d’Emmaüs Connect se rapproche donc de vos constats ?

En effet, nous voyons désormais arriver du courrier papier de personnes, de tous âges, se plaignant de n’avoir accès à tel ou tel service que par internet. Tout d’abord, sur l’accès au numérique,  je constate que de nombreuses personnes, en raison de leur handicap ou de leur âge, mais également, et c’est important, de leurs ressources financières, n’ont pas accès à internet. Votre étude a surtout le mérite de poser la question de l’usage.

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Un directeur d’un établissement social me disait récemment qu’il avait vu plusieurs jeunes aller sur Facebook pourtant incapables de joindre un fichier 

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En effet, il ne s’agit pas seulement d’être équipé, encore faut-il savoir utiliser ! Il y a tout un un monde, pour de nombreuses personnes, entre lire ses courriels et répondre à ses enfants éloignés, et imprimer, numériser, ou rechercher des pièces « dans un espace personnel » pour les joindre à un message. Un directeur d’un important établissement social me disait récemment qu’il avait vu plusieurs jeunes capables d’envoyer des tweets ou d’aller sur Facebook, mais incapables de joindre un fichier à rechercher sur une base de données ; ce n’est donc pas qu’un problème de personnes âgées ou handicapées !

CS. Au-delà de ces confirmations, cette enquête apporte-t-elle des éléments nouveaux ?

Cette enquête apporte, tout d’abord, des chiffres : nous savons qu’entre 15 à 20 % de la population n’a pas, pour diverses raisons, accès à internet. Or, là, nous avons, pour la première fois, des chiffres qui vont au-delà de l’aspect de masse rencontré dans de précédentes études. Ensuite, et c’est pour moi une nouveauté, je n’avais jamais perçu le problème posé de la tarification du prépayé qui reste un des moyens d’accès pour de nombreuses personnes. De même, cela m’a fait percevoir les coûts cachés de l’usage pour des personnes en difficulté et, donc, la nécessité d’avoir des lieux de pratique et de formation.