Neelie Kroes, Vice-présidente de la Commission Européenne en charge de l’Agenda numérique de 2010 à 2014, nous fait l’honneur  de répondre à nos questions. Selon elle, pour relever les prochains défis posés par l’e-inclusion en Europe, un seul mot d’ordre : « it’s time to think outside of the box ».

Les Cahiers : Une première question à la fois évidente et nécessaire : pour quelle raison internet doit-il être pour tout le monde ?

Neelie Kroes : D’une manière générale, notre devoir est de faire notre possible pour réduire les inégalités qui nuisent à la cohésion sociale. Or, aujourd’hui, l’égalité des chances sociales et économiques passe aussi par internet. Nous vivons dans un monde où la communication et les médias sont centraux ; être en capacité d’utiliser le numérique est aussi important que savoir lire et écrire. Sans les compétences numériques vous êtes marginalisé, quand bien même le numérique offre des outils pour l’empêcher. Nous ne pouvons pas l’accepter.

LC. Alors qu’un européen sur cinq n’utilise pas internet de façon régulière, la dématérialisation des services publics bat son plein dans tous les pays membres de l’Union européenne. Comment aider ces personnes à prendre le train du numérique ?

NK. En Europe, où nous avons le devoir d’envoyer nos enfants à l’école, cela commence par l’éducation. Dans ce domaine, je pense que nous devons sortir des sentiers battus.

Je me souviens d’une école à Birmingham qui accueillait de nombreux enfants issus de l’immigration. L’ école, située dans un quartier défavorisé, avait pour priorité de combattre la pauvreté dont ces jeunes étaient victimes et d’augmenter leurs chances de faire des études. Pour ce faire, elle avait intégré l’enseignement de diverses compétences numériques dans le curriculum des élèves. Lorsque ces filles et ces garçons rentraient à la maison après l’école, leurs parents et leurs grands-parents étaient très intrigués par ces nouvelles compétences et ont souhaité, à leur tour, se former. L’école a alors développé des cours pour les adultes. Le processus est vertueux : les jeunes ont éveillé leurs aînés et l’école a suivi.

LC : L’inclusion numérique n’est-elle pas une question transversale qui va au-delà de ce que les télécentres et les ONG peuvent faire au quotidien sur le terrain ?

NK. Absolument. Parlons de l’entrepreneuriat social par exemple : son objectif principal n’est pas de faire du profit, mais de rendre ce monde meilleur. Ces entreprises sociales doivent absolument investir l’e-inclusion. Dans un autre registre, il est également très important d’avoir un système de protection sociale, des institutions gouvernementales et des organisations qui s’engagent pour résoudre le problème de l’exclusion numérique et pour la traiter à la racine. Prenons l’exemple de l’actuelle crise des réfugiés. Au-delà des besoins de première nécessité, comme la nourriture et l’hygiène, ne pourrions-nous pas leur offrir l’opportunité de se former au numérique, au code même, à travers des ateliers organisés dans les camps ? Je pense aux filles et aux femmes réfugiées surtout, ce type d’éducation pourrait faciliter leur émancipation.

LC : Selon vous, quel est le prochain défi auquel nous devrions nous préparer ?

NK. Dans le domaine de l’inclusion numérique, je ne peux pas m’empêcher de penser aux jeunes générations. Leur éducation est cruciale. L’apprentissage du code doit se répandre et les enfants devraient commencer cet apprentissage dès le plus jeune âge, le plus tôt sera le mieux. Nous ne pouvons pas non plus oublier les plus âgés, l’Europe a une population vieillissante. À ce sujet, je peux vous citer un très bon exemple en Suède. Des migrants possédant des compétences numériques solides, et qui se retrouvent dans un centre d’hébergement, sont en train d’apprendre le suédois grâce à des citoyens du troisième âge. En échange, ils mettent leurs compétences numériques au service des plus âgés, en leur apprenant à utiliser un ordinateur ou une tablette par exemple. In fine, l’objectif est de favoriser l’insertion et l’intégration des réfugiés, on voit bien que l’ambition va au-delà d’une question de littératie.

Je considère que cette initiative est encore un bel exemple du type de solutions qui existent en dehors des schémas classiques.

LC: Quel est le prochain pas que l’Europe doit franchir concernant la question de l’inclusion numérique ?

NK. De mon point de vue, il existe deux actions concrètes que l’Europe doit entreprendre. La première concerne la concrétisation du marché unique numérique. Cette initiative, qui est l’une des dix priorités phares de la Commission européenne, doit permettre de transformer les marchés nationaux en un marché unique où les citoyens, les entreprises et les États européens seront en mesure de prof i ter pleinement des opportunités qui sont offertes par le numérique. Deuxièmement, pour être inclusive, l’Europe doit exploiter tout le potentiel des nouvelles technologies en investissant davantage dans le domaine de la recherche et de l’innovation. L’Europe doit être en première ligne sur ce sujet.

Numérique et action sociale

L’action sociale doit revoir ses pratiques et intégrer la numérisation de l’administration

Retrouvez l’étude menée par Emmaüs Connect qui en précise les enjeux