L’étude de Wetechcare « L’inclusion numérique un investissement rentable » évalue que pour toucher l’ensemble des publics en demande d’accompagnement, il serait nécessaire de mobiliser plus de 26 000 aidants tout en formant plus de 10 000 acteurs sociaux. Salariés de la médiation numérique, bénévoles dans les associations de quartier, professionnels de l’accompagnement social ou encore services civiques, les options sont nombreuses. Nous avons voulu recueillir le point de vue de plusieurs acteurs clés directement concernés.

 

ENTRETIEN AVEC ALEXANDRA SIARRI,

ADJOINTE AU MAIRE DE BORDEAUX EN CHARGE DE LA COHÉSION SOCIALE ET TERRITORIALE

Les Cahiers : Quelle est votre perception des principaux enjeux d’inclusion numérique ?

Alexandra Siarri : la numérisation des démarches de notre quotidien est vécue par beaucoup de nos citoyens comme un passage forcé pour accéder à leurs droits.  Ils ne prennent la mesure de la toile qu’au niveau de leurs démarches administratives alors même que cette révolution numérique leur ouvre de nombreuses opportunités de s’informer, de s’émanciper ou de prendre la parole. Un travail de sensibilisation des publics est donc un préalable nécessaire à toute démarche d’appropriation des usages numériques. Il faut leur donner l’occasion de s’émerveiller et, bien sûr, il faut coupler cette sensibilisation d’une communication autour des moyens disponibles pour se faire aider, se former.

LC: Comment y arriver ?

AS : Nous avons la chance, en France, de pouvoir compter sur un maillage très dense d’acteurs de proximité : associations, services sociaux, collectifs de citoyens engagés. Ils établissent des rapports de confiance avec les publics qu’ils reçoivent et ils ont donc, de fait, un rôle de médiation absolument clé. Ce sont eux qu’il faut acculturer en premier lieu, afin qu’ils puissent transmettre à ceux qu’ils reçoivent le désir de se former, la joie de s’émanciper grâce au web.

Par ailleurs, dans l’offre de formation proposée aux habitants il faut prendre en compte leurs motivations, leurs réalités de vie et leurs usages au niveau local. Par exemple, chez Emmaüs Connect à Bordeaux, on ne vous dit pas « bonjour venez apprendre à remplir tel formulaire administratif ». Non, les équipes commencent par identifier les leviers de motivation qu’il s’agisse de Skype, de cours de cuisine en ligne ou du site de la SNCF…

Enfin, je suis convaincue qu’il faut décloisonner l’innovation technologique et l’inclusion sociale. Faisons confiance aux capacités des citoyens et travaillons avec eux en amont de la conception de services en ligne. C’est en les impliquant que nous apporterons les réponses les mieux adaptées à leurs besoins.  Interrogeons-les sur ce qu’ils espèrent trouver sur la toile comme service, comme possibilité.

LC : Du côté des travailleurs sociaux, quel chemin a été parcouru en 2 ans en matière d’appropriation du numérique à l’accompagnement social ?

AS : En deux ans, de nombreuses formations ont été organisées pour accompagner les travailleurs sociaux sur ce sujet. Je pense que globalement ils sont de plus en plus à l’aise même si, à l’image de la population française, un fossé se creuse entre les plus connectés et les moins initiés.

LC : Quel rôle ces professionnels peuvent-ils  endosser dans le parcours d’inclusion numérique des citoyens?

AS : Un rôle central. Ils sont en première ligne des publics et c’est donc par eux que le premier pas, l’envie d’apprendre peut naître. Ce sont eux qui ont la capacité de motiver les publics, de lever les idées reçues, de donner confiance et de dédramatiser le sujet du numérique. Ce serait dramatique si leur rôle se limitait à réorienter les publics vers des acteurs tiers qu’ils ne connaissent pas. Le travailleur social est la porte d’entrée dans un parcours coordonné entre acteurs d’un réseau. Il doit donc être au cœur du  réseau et connaître les acteurs partenaires vers lesquels orienter ses usagers, qu’ils s’agissent d’associations ou de médiateurs numériques.

Ma vision du travailleur social dépasse les guichets de prestations où il est trop souvent cantonné. Selon moi, ils devraient être des médiateurs dans l’espace public qui vont à la rencontre des habitants, de ceux qui ne vont pas dans les CCAS, dans les écoles par exemple. Il faut que les travailleurs sociaux retrouvent le plaisir d’être avec le public.