Alors qu’ils viennent de lancer la Prime d’Activité, Frédéric Marinacce, Directeur des politiques familiale et sociale & Yves Hirrien, Responsable du département développement de la relation de service, tentent d’apporter une réponse à une des questions majeures de ce dossier : sommes-nous prêts pour le 100% web ?

Les Cahiers : Le 1er janvier 2016 la Prime d’Activité est entrée en vigueur, elle est parmi les premières prestations sociales 100% dématérialisées en France. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Frédéric Marinacce.
 La Prime d’activité est une grande évolution, c’est la première fois, dans la sphère sociale, qu’une prestation destinée à 2 millions de personnes est entièrement dématérialisée. Nous partons d’un constat : le public concerné est proche du monde de l’entreprise et donc potentiellement habitué à utiliser internet. Il n’y a donc pas de raisons de lui imposer des déplacements, des contraintes d’horaires… Ce n’est certes pas vrai pour tout le monde et nous estimons qu’un tiers des personnes concernées n’ont pas d’adresse mail.  Pour eux, nous avons d’abord prévu des points d’accueil ou des relais. Nous avons aussi, dans la branche Famille, une pratique très performante de l’accueil sur rendez-vous.

LC :  Pour quelles raisons la Branche famille fait-elle inexorablement le choix de la dématérialisation ? 

FM : C’est d’abord pour répondre au besoin d’un public qui a beaucoup changé et qui fait la demande du numérique. La plupart des usagers attendent de la facilité. Internet permet de répondre à cette attente et, dans ce sens, est un formidable outil d’accès aux droits. Toutefois, il faut faire attention, sur le chemin, de ne pas perdre une partie de la population.

Yves Hirrien : Si la dématérialisation s’inscrit dans une démarche de refonte globale de notre relation à l’usager, elle fait aussi évoluer les métiers des agents. Ils doivent y trouver une reconnaissance de leur savoir-faire et une valorisation de leurs outils. Donc, dématérialiser, c’est faire mieux avec les usagers et les agents, dans un contexte budgétaire contraint.

LC : Comment mettez-vous en œuvre cette dématérialisation sans perdre de vue vos usagers les plus fragiles ? 

YH : Nous expérimentons l’accueil sur rendez-vous, il évite les files d’attente et permet de différencier l’offre d’accueil au bénéfice des situations de fragilité sociale ou administrative. Pour compléter ce dispositif, nous formons de véritables conseillers de service à l’usager. Ils ont une responsabilité extrêmement forte : ce sont eux qui vont identifier les allocataires qui ont des difficultés avec le numérique et qui vont les accompagner.  Nous avons également mis en place les rendez-vous des droits : un temps qui va au-delà des problématiques liées aux prestations CAF pour étudier dans leur globalité les situations de non-recours. Nous en avons réalisé 160 000 en 2015, 170 000 sont prévus en 2016. Là, on fait du surmesure car nous sommes convaincus que nos ressources doivent prioritairement être affectées à ceux qui en ont le plus besoin. 

LC : Alors même que vous ne laisserez plus vraiment le choix à vos allocataires, est-ce votre responsabilité de les accompagner vers le numérique ?

YH : Au rythme où vont les choses et avec les problématiques d’accès au numérique, l’accès aux droits peut sembler plus difficile pour certains. C’est pour cela que les CAF s’engagent résolument pour favoriser l’inclusion numérique. Pour ce faire, nous serons bientôt présents dans la plupart des bassins de vie au moyen de plus de 1600 points d’accès numérique. Concrètement, nous avons passé des conventions avec nos partenaires pour qu’ils proposent aux usagers en difficulté face au numérique, à la fois l’accès à du matériel et à du personnel formé.

LC : Accompagnement vers le numérique, formation de partenariats… assiste-t-on à un changement de rôle des CAF ? 

YH : Changement de rôle non, changement de métier oui. Ne nous trompons pas de priorité, notre cœur de métier c’est bien de gérer les prestations, mais des évolutions sont inéluctables et j’en veux pour exemple le design des locaux d’accueil. Nous sommes en train de les revoir à partir de la question de l’accompagnement au numérique. Ce sont parfois presque les deux tiers des surfaces qui sont réservées aux zones dites multi-services, où espaces internet, imprimantes, scanners sont installés. Cette transformation de l’espace dit bien que le métier évolue.

LC :  Quand on pense à cette transition numérique, on voit que la France est riche de réseaux de solidarité sur les territoires : les sollicitez-vous pour vous aider à relever votre pari numérique et comment êtes-vous accueilli ? 

FM : Les enjeux de la Prime d’Activité sont tels qu’ils conduisent les CAF à augmenter le volume partenarial. Elles vont toutes se mobiliser et ont la capacité d’agir : on ne fait pas de politique publique au profit du plus grand nombre sans partenariat. Nous avons donc sollicité des organismes comme la Poste et les centres sociaux qui sont déjà impliqués dans cette démarche d’accompagnement. Nous sommes aussi engagés dans la mise en place des Maisons de Services au Public… Il est clair que l’essentiel se joue sur le territoire.

LC : Nous observons un risque sur le terrain : l’accompagnement vers le numérique est la patate chaude de la dématérialisation, chacun la renvoyant à son voisin.  Comment dépasser ça ? 

YH : De la même manière que nous sortons un peu de notre rôle, nos partenaires doivent faire un pas dans la direction de l’usager. Sinon, nous acceptons la logique d’une société à deux vitesses : les personnes connectées et les autres. Faut-il qu’une personne prenne sa voiture et fasse deux heures de route pour aller à la CAF alors qu’il y a un centre social à proximité ?

LC. Parallèlement au développement de votre offre de service en ligne, de quelle manière travaillez-vous à rendre le site de la CAF plus accessible et plus ergonomique ? 

YH : Nous procédons à des analyses d’impact : dès lors qu’il y a une nouveauté sur le site, nous la faisons expertiser par les usagers. Nous pouvons toutefois améliorer nos panels, nous sommes probablement encore un peu loin de ce qu’il faudrait faire pour faciliter la navigation des usagers les plus en difficulté. Nous sommes d’ailleurs en train d’engager une refonte de nos télé-services. Il faudra absolument saisir cette opportunité pour faire de la navigation un levier de compréhension des démarches.

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