En 2016, alors que la numérisation des premières démarches administratives simplifie le quotidien des Français les plus initiés, partout en France, les professionnels du secteur social assistent à une hausse des demandes d’accompagnement et déplorent la perte d’autonomie des publics les moins connectés. S’ils regrettent de ne pas être suffisamment formés ni dotés des outils adéquats pour y faire face, ils ajustent, à tâtons, leurs pratiques professionnelles, et font souvent « à la place » des usagers – ce qui soulève des questions.

C’est dans ce contexte que le département du Morbihan a voulu fédérer tout un réseau d’acteurs – la Caisse d’Allocations Familiales (CAF), la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), la Mutuelle Sociale Agricole (MSA), Pôle Emploi, la Préfecture, l’Union départementale des CCAS (UDCCAS) et les services sociaux du département- autour d’un projet aussi nécessaire qu’ambitieux mailler le territoire pour offrir une solution d’accompagnement numérique de proximité à chaque Morbihannais en difficulté.

Le réseau fait la force

Convaincu que la lutte contre l’exclusion numérique est une priorité, le département du Morbihan s’est rapproché, en 2016, de WeTechCare pour mettre en place un plan d’inclusion numérique sur son territoire. « Nous étions confrontés à des flux de personnes venant frapper aux portes des mairies et des centres communaux d’actions sociales (CCAS) parce qu’elles avaient des difficultés d’accès et d’usage numérique, raconte Christine Penhouét, élue au conseil départemental du Morbihan et présidente de l’UDCCAS. Ce constat nous n’étions pas les seuls à le faire, MC. fallait entraîner une mobilisation concertée pour pouvoir y apporter une réponse adoptée. »

Pour sortir d’une situation complexe où chacun se renvoyait la balle, le département a alors réuni autour de la table les représentants des acteurs et opérateurs concernés par la dématérialisation des démarches administratives ou au contact des publics les moins connectés (entre autres, la CAF, la CPAM, la MSA, l’UDCCAS et Pôle Emploi).

“On s’est dit “Soit on se fâche tous, soit on essaye de trouver une manière de travailler ensemble autour du numérique”, se souvient Jeannine Le Courtois, directrice du développement social et de l’insertion du département. Seule la prise de conscience de notre responsabilité collective a permis à tous ces acteurs d’avancer main dans la main vers un objectif commun : parvenir à un tel maillage du territoire que chaque Morbihannais sollicitant un soutien dans ses démarches en ligne pourra évaluer son niveau puis être orienté vers la structure la plus à même de lui offrir un accompagnement adapté.

COMPRENDRE LES BESOINS DES PUBLICS, IDENTIFIER LES FORCES EN PRÉSENCE

Avant de penser aux solutions, il a été indispensable d’évaluer les besoins des habitants. Le département a alors mené, avec l’appui de Wetechcare, une étude des publics qui fréquentent les guichets des services sociaux et des opérateurs de services publics sur le territoire. Résultat : sur les 1 250 personnes interrogées, 56% étaient autonomes, 31% avaient un niveau de compétences insuffisant pour réaliser seuls des démarches administratives en ligne, et 13% n’utilisaient jamais Internet. Le diagnostic a aussi mis en avant l’importance des freins liés à la peur de se tromper ou au manque de maîtrise du langage administratif. Même les usagers à l’aise avec le numérique avaient besoin, pour 80% d’entre eux, de réassurance quant à l’utilisation des sites de l’administration française. Un diagnostic primordial pour les acteurs comme la CPAM, qui n’avait jusqu’à alors “aucune visibilité sur l’autonomie des usagers”, admet Martine Normand-Grall, directrice des services à la clientèle et d’appui à la performance. Et celle-ci d’ajouter : « Jusqu’ici, quand on lançait un nouveau service, on croisait les doigts… mais il faut savoir que l’Assurance maladie ne rend aucun service en ligne obligatoire et assure un accompagnement dans tous ses accueils ».

En parallèle, pour mieux appréhender les forces vives du territoire, un travail de recensement et de cartographie des structures mobilisables dans le département (médiathèques, centres sociaux, agences des opérateurs de services publics, associations…) a été lancé. L’objectif ? Evaluer leurs capacités d’accompagnement, leur rôle et leurs modalités d’engagement au sein du réseau, ainsi que leurs besoins en termes de formation et d’outils. Si 70%  des 143 structures interrogées recevaient déjà des demandes concrètes d’accompagnement numérique, la bonne surprise était ailleurs : les trois quarts d’entre elles ont exprimé le souhait de faire partie d’un réseau. « Les trois semaines d’enquêtes ont soudé l’équipe », raconte Jeannine Le Courtois.  « Et nous avons réalisé que nous pouvions passer le cap ensemble. »

EXPÉRIMENTER POUR MIEUX FÉDÉRER LES ACTEURS

Une fois cet état des lieux réalisé, deux réseaux pilotes ont vu le jour : un premier en zone urbaine, à Vannes, et un second en zone rurale, dans le pays de Ploërmel. De nombreux ateliers ont été organisés afin que les acteurs puissent apprendre à se connaître et commencent à imaginer les rôles de chacun. “Le fait de cheminer ensemble nous a permis de construire immédiatement des réponses concrètes”. L’attention a aussi été portée aux outils nécessaires au bon fonctionnement du réseau. L’ensemble des outils collaboratifs et des ressources pédagogiques à destination des « aidants numériques », sont aujourd’hui hébergés sur le site Les Bons Clics – au même titre que l’indicateur d’autonomie numérique, véritable “point de repère commun”, insiste la directrice du développement social et de l’insertion du département, “qui évite de balancer les gens d’un guichet à l’autre en ayant l’impression de perdre du temps et d’en faire perdre aux autres.”

Une opportunité de se réinventer

Cette expérimentation a aussi permis d’ancrer la motivation des différents acteurs, et de les aider à se projeter dans les changements à venir : « Nous savons désormais que les travailleurs sociaux peuvent trouver de nouvelles manières d’exercer leurs métiers qui les enthousiasment. Un travailleur social a, par exemple, co-animé un atelier avec un bénévole d’Orange Solidarité, et un autre a décidé d’aller faire sa permanence à la médiathèque »L’adjointe au maire de Vannes confirme : « Ce processus conduit à des changements de postures professionnelles: alors que, d’habitude, les professionnels du social travaillent face-à-face avec l’usager, ils doivent aujourd’hui se mettre côte à côte, et aller jusqu’à lui laisser la souris et le clavier. » Une transformation qui a nécessité « un vrai travail de pédagogie et de persuasion », admet Christine Penhouêt. A la Maison de services au public (MSAP) de Grand Champ, l’évolution est en cours : « Avant, on dispensait, un savoir aujourd’hui, on accompagne. »

Et les professionnels du social ne sont pas les seuls à se réinventer. « Ça nous oblige à réinterroger nos façons de faire, notre langage et nos outils », affirme Béatrice Martellière, directrice de la CAF du Morbihan. Chez Médiacap, par exemple il a été décidé que chaque personne orientée par le biais du site Les Bons Clics pourrait bénéficier d’une intervention gratuite, même si leur service est d’ordinaire payant, explique Sophie Thebault, animatrice multimédia. « L’intérêt de cette démarche, c’est aussi de réfléchir à notre offre, de questionner le projet de service et les prestations », analyse Christelle Frossard, directrice du CCAS de Vannes. La jeune femme ne tarit pas d’éloges sur les ateliers de co-construction qui permettent, notamment, de  « mieux comprendre qui fait quoi et comment ». Celle-ci réfléchit d’ailleurs aujourd’hui à faire évoluer les libellés des actions du CCAS de Vannes vers plus de clarté possible pour les usagers et les aidants qui les retrouveront sur la précieuse cartographie des offres du territoire sur la plateforme Les Bons Clics.

Avant, on dispensait un savoir, aujourd’hui on accompagne

Le tout au service du parcours usager

Au-delà du numérique, de nouvelles synergies sont apparues sur le territoire. Sandrine Bernard, chargée de mission à la Direction Territoriale Pôle Emploi Morbihan est la première à s’en féliciter : « Aujourd’hui, grâce à ce réseau, un conseiller Pôle Emploi du Morbihan est en mesure d’orienter un demandeur d’emploi qui n’aurait pas de droits vers les outils Internet de la CAF et vers les structures qui pourront l’aider à faire une demande de RSA.  » De quoi offrir une vraie « continuité dans l’accompagnement des usagers » qui continuera à se renforcer avec les sept réseaux locaux d’inclusion numérique actuellement en cours de déploiement dans le Morbihan.

Nous remercions l’ensemble des personnes interrogées, actrices du projet :

Christine PENHOUËT, élue au conseil départemental du Morbihan, présidente de l’UDCCAS, adjointe au maire de Vannes
Jeannine LE COURTOIS, directrice du développement social et de l’insertion CD56
Béatrice MARTELLIERE, directrice de la CAF du Morbihan
Sandrine BERNARD, chargée de mission à Pôle Emploi Vannes et coordinatrice départementale de l’accompagnement global
Christelle FROSSARD, directrice du CCAS de Vannes
Sophie THEBAULT, animatrice multimédia de Médiacap
Martine NORMAND-GRALL, directrice des services à la clientèle et d’appui à la performance de la CPAM Morbihan
Tiphaine ARHURO, accueillante MSAP Grand Champ (périphérie Vannes)

Les collectivités territoriales jouent un rôle primordial dans le pilotage du réseau d’accompagnement. Le parcours usager doit se faire en plusieurs étapes pour ne pas créer de rupture et assurer une réelle montée en compétences numériques des différents publics.

Tout savoir sur le parcours usager dans le réseau d’accompagnement.