En France, alors que deux millions de jeunes ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation, le numérique offre de nombreux services innovants destinés à faciliter leur insertion professionnelle. Ce paradoxe, allié à l’intuition que le numérique pourrait profiter davantage à ces jeunes, est à l’origine d’une enquête de plusieurs mois, conduite en immersion dans quatre missions locales, urbaines et rurales. Le premier constat est sans appel, un jeune homme de 25 ans me le résume parfaitement « Les gens estiment que la maîtrise d’internet ne nécessite pas de formation car c’est la génération internet, alors qu’en réalité, il y a plein de choses qu’on ne connaît pas ». En effet, comme j’ai pu le constater, et comme l’observent les spécialistes du numérique chez les digital natives, les usages et les habiletés numériques des 16-25 ans sont très variables. Ces experts ajoutent que les compétences numériques acquises dans le domaine récréatif (par les réseaux sociaux, les jeux vidéo, etc.) ne sont pas transférées dans d’autres domaines (scolaire, professionnel). Il m’est donc apparu nécessaire d’interroger les conséquences de ce décalage, alors qu’aujourd’hui l’accès aux offres d’emploi ou aux différents services d’insertion professionnelle est de plus en plus tributaire du numérique.

Moins connectés, moins équipés, les jeunes en insertion professionnelle sont aussi peu compétents sur le net

Si les jeunes suivis en mission locale ont très largement accès à internet (95 %), ils demeurent cependant moins bien lotis que ceux de la même classe d’âge. Cependant, les chiffres n’expliquent pas à eux seuls une réalité plus complexe.

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87% des jeunes utilisent internet pour leur recherche d’emploi

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En effet, le fait d’être équipé ne signifie pas avoir des ressources financières suffisantes et pérennes pour, par exemple, accéder à un forfait incluant de la data, comme en témoignait une jeune femme, ancienne résidente d’un foyer de jeunes travailleurs. Par ailleurs s’ils utilisent beaucoup internet, que ce soit dans le cadre des loisirs (90 % des jeunes interrogés par questionnaire), des démarches administratives (60 %) ou de la recherche d’emploi (87 %), ils exploitent rarement les ressources numériques de manière optimale. Les entretiens avec les conseillers viennent ici contrebalancer des préjugés répandus sur la maîtrise supposée innée du numérique par les digital natives. Comme l’expliquait un encadrant, « les jeunes ont une mauvaise maîtrise d’internet, même de Google. Ils ne savent pas forcément reformuler des requêtes et creuser ».

L’email boudé par les jeunes en recherche d’emploi

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A leur arrivée en mission locale, entre 40 et 50% des jeunes ne possèdent pas d’adresse électronique [/boite]

Cela est particulièrement vrai pour la recherche d’emploi : à leur arrivée en mission locale entre 40 et 50 % des jeunes ne possèdent pas d’adresse électronique, outil pourtant essentiel. Peu ont une connaissance de la variété des sites de recherche d’emploi ou des fonctions complexes comme la « recherche avancée ». En un mot, si internet est le premier réflexe pour commencer une recherche d’emploi ou de formation, tous ne sont pas suffisamment armés pour réaliser une démarche construite et ciblée.

Accompagner les digital natives au numérique, une nécessité

Afin d’aider ces jeunes à utiliser au mieux les potentialités du numérique, il est indispensable de mettre en lumière ces lacunes, et de les accompagner à l’utilisation d’internet, d’une borne interactive ou bien même d’un smartphone, dont beaucoup n’exploitent pas toutes les possibilités. Mais il faut également prendre en considération des lacunes en compétences de base qui constituent un prérequis indispensable. Des jeunes se trouvent par exemple bloqués dans leur accès à l’information car ils ne rédigent pas correctement les termes d’une requête, ne sont pas capables de déterminer les mots-clés pour effectuer une recherche, ou ne comprennent pas les termes d’une offre d’emploi.

Face à la nébuleuse internet, les jeunes ont des attentes spécifiques

L’accompagnement des jeunes à l’apprentissage des ressources numériques essentielles pour la recherche d’emploi semble d’autant plus légitime que les jeunes rencontrés sont eux-mêmes demandeurs. En effet, même s’ils disposent de tout l’arsenal numérique à la maison, nombreux sont ceux qui viennent à la mission locale pour consulter les offres d’emploi et en discuter avec un conseiller, ou simplement investir un lieu pleinement dédié à cette démarche et où ils peuvent, dans le même temps, se sentir moins seuls.
Confrontés à la nébuleuse internet, les jeunes interviewés ont des demandes précises pour effectuer au mieux leur recherche d’emploi. La première est de recevoir l’information pertinente au moment t. Les autres attentes des jeunes, récurrentes dans les entretiens, sont d’avoir accès à une meilleure information sur les offres d’emploi, de voir les sites administratifs simplifiés, de recevoir une aide pour mieux maîtriser l’environnement numérique. Très pratiquement, une jeune femme interrogée demandait que les jeunes soient accompagnés lors de leur première inscription et/ou de leur première actualisation sur le site de Pôle Emploi.

Inventer des solutions numériques pour mettre « toutes les chances de son côté »

Face à cette demande des jeunes et au chômage massif des moins de 25 ans, il importe que nous, entreprises, professionnels de l’insertion, acteurs du numérique, chercheurs, décideurs et élus, mais aussi recruteurs nous débarrassions de nos stéréotypes sur la « génération internet ». Il nous incombe de construire avec toutes les parties prenantes, et en premier lieu les jeunes eux-mêmes, des outils permettant de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes. Le numérique offre de nombreuses potentialités. L’élaboration de nouveaux dispositifs numériques doit être pensée dans une démarche agile pour permettre aux jeunes les plus éloignés de l’emploi de s’en saisir facilement et rapidement, seuls ou accompagnés par un conseiller. Pour les jeunes rencontrés, il ne s’agit pas de choisir entre un outil numérique ou un accompagnement humain mais, comme le résumait un jeune interrogé, « de mettre toutes les chances de son côté ».


Cette étude d’Emmaüs Connect a été réalisée par Yves-Marie Davenel, Docteur en anthropologie, Chargé d’étude pour Emmaüs Connect, de juillet à octobre 2014, auprès de 23 conseillers et 32 jeunes en missions locales. Ces entretiens qualitatifs ont été complétés par une enquête statistique auprès de 275 jeunes.

Retrouvez l’étude dans son intégralité en cliquant sur ce lien.